• ...celui qui regarde la femme avec volupté commet déjà l'adultère...

    Mais si l’homme, comme dans notre société, ne tend que vers l’amour corporel, le revêtît-il des prétextes, de la forme fausse du mariage, il n’aura que la débauche permise, il ne connaîtra que la même vie immorale où j’ai succombé et fait succomber ma femme, vie qui s’appelle chez nous la vie honnête de la famille. Songez quel pervertissement d’idées doit naître quand la situation la plus heureuse de l’homme, la liberté, la chasteté est regardée comme une chose misérable et ridicule. Le plus haut idéal, la meilleure situation de la femme, être pure, être une vestale, une vierge, provoquera peur et la risée dans notre société. Combien et combien de jeunes filles sacrifient leur pureté à ce Moloch de l’opinion, en se mariant avec des canailles pour ne pas  demeurer vierges, c’est-à-dire supérieures ? De peur de se trouver dans cet état idéal, elles se perdent. (*)

    Mais je ne comprenais pas, jadis, je ne comprenais pas que les paroles de l’Évangile : « que celui qui regarde la femme avec volupté commet déjà l’adultère avec elle, » ne se rapportent pas aux femmes d’autrui, mais notamment et surtout à notre femme. Je ne comprenais pas, et je pensais que cette Lune de Miel, et tous mes actes durant cette période étaient vertueux, que satisfaire ses désirs avec sa femme est une chose éminemment chaste. Comprenez donc, ce départ, ces isolements, que les jeunes mariés arrangent avec la permission des parents, je crois que ce n’est autre chose, décidément, que la permission de faire la noce.

    Je ne voyais donc en cela rien de mauvais ni de honteux, et, en espérant de grandes joies, je commençais de vivre la Lune de Miel. Et bien certainement il n’en résulta rien ! Mais j’y avais foi, je la voulus coûte que coûte. Plus je m’efforçais, moins j’  aboutissais. Tout ce temps je me sentis anxieux, honteux et ennuyé. Bientôt, je commençais à en souffrir. Je crois que le troisième ou le quatrième jour, je trouvai ma femme triste et lui en demandai la raison. Je me mis à l’embrasser, ce qui à mon avis était tout ce qu’elle pouvait désirer. Elle m’écarta de la main et se mit à pleurer.

    De quoi ? Elle ne put me le dire. Elle était chagrine, angoissée. Probablement ses nerfs torturés lui avaient suggéré la vérité sur l’ignominie de nos relations, mais elle ne trouvait pas les termes pour le dire. Je me mis à la questionner ; elle répondit qu’elle avait le regret de sa mère absente. Il m’apparut qu’elle ne disait pas vrai. Je cherchai à la consoler en gardant le silence sur ses parents. Je ne concevais pas qu’elle se sentait tout simplement accablée et que les parents n’y étaient pour rien. Elle ne m’écoutait pas ; et je l’accusai de caprice. Je me mis à la railler doucement. Elle sécha ses larmes et me reprocha, en termes durs et blessants, mon égoïsme et ma cruauté.  

    Je la regardai. Toute sa figure exprimait la haine, et cette haine était contre moi. Je ne puis vous exprimer l’effroi que j’éprouvai à cette vue. « Comment ! Quoi ! pensais-je. L’amour, c’est l’unité des âmes, et la voilà qui me hait ! moi ? Pourquoi ! Mais c’est impossible ! Ce n’est plus elle. »

    Je tâchai de la calmer. Je me heurtai à une inébranlable et froide hostilité, tellement que, sans avoir le temps de réfléchir, je fus pris d’une vive irritation. Nous échangeâmes des propos désagréables… L’impression de cette première brouille fut terrible. J’appelle cela brouille — mais le terme est inexact. C’était la découverte soudaine de l’abîme qui s’était creusé entre nous. L’amour était épuisé avec la satisfaction de la sensualité. Nous restâmes l’un en face de l’autre sous notre vrai jour, comme deux égoïstes qui cherchent à se procurer le plus de jouissances, comme deux individus qui cherchent à s’exploiter mutuellement.

    "La Sonate à Kreutzer" L. Tolstoï

    « buddha bar-Secret love Gustav Mahler: Symphony No. 6 (Lucerne Festival Orcherstra, Claudio Abbado) »
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