• A l'imparfait de l'objectif

    Georges Braque

    Il m'avait toujours accueilli avec beaucoup de bienveillance quand je venais, rue du Douanier, faire quelques travaux de sélection couleur.
    Les gestes du métier l'intéressaient. Ma façon de canaliser la lumière à l'aide de vieux journaux paraissait l'amuser. Il ne me  quittait pas des yeux pendant les opérations.
    Pour Le Point, la revue de Pierre Betz, on ne pouvait concevoir un numéro spécial Georges Braque sans photos de son atelier de Varengeville.
    Je roulais donc vers la Normandie. Le jour s'était levé après la traversée de Vernon. Filant sur la route mouillée, je voulais être sur place de bonne heure.
    Après Dieppe, une dizaine de kilomètres avec les hésitations de fin de parcours et, enfin, Varengevilke, où j'arrive haletant.
    Braque m'a fait visiter la maison basse et l'atelier dans le jardin. C'est là qu'à commencé la séance de photos.
    C'était un bon modèle, du genre résigné. Il se prêtait avec des gestes lents à mes suggestions. Nous n'avons pas échangé plus d'une douzaine de mots dans la matinée.
    Puis l'ombre d'une silhouette est venue dans la porte. Petits signes discrets.
    "Nous reprendrons à deux heures, ça vous va? Il faut que je passe à table. Débrouillard comme vous l'êtes, vous trouverez bien un petit restaurant dans le coin!"
    Débrouillard, il fallait le prouver. Les si jolies petites plages, en ce début octobre, avaient fermé leur volets.
    Mais c'était la règle : Braque n'invitait pas. Besoin de poursuivre sa méditation tout en mastiquant? Mesure d’économie. Un souci qui, peut-être, l' amené au choix des natures mortes: elles évitent les frais de modèles. Mais ceci n'est qu'une supposition, également gratuite.
    Non, il avait probablement ce besoin de paix et de silence qu'il faisait régner autour de lui.
    Que ce soit à Paris ou à Varengeville, les toiles étaient disposées de la même façon, certaines appuyées le long des plinthes, d’autres posées à même le sol. Il y avait également deux chevalets avec des ébauches. C'était l'aquarium. Braque baignait dans Braque.
    Tous les objets, les drôles de pupitres faits d'une branche fourchue, les statues nègres, les coquillages, tout un ensemble qui, ailleurs, aurait pu paraître hétéroclite entrait sagement dans l'ordre de la maison.
    Braque a écrit quelque part : "J'ai le souci de me mettre à l'unisson de la nature bien plus que de la copier."
    Venant de la part d'un homme fort avare de parole, cette déclaration a dû émouvoir plus d'un amateur de théories.
    Ultime photo : Braque un peu voûté, dans un sentier au milieu des dunes, mains dans le dos, allant vers sa chère solitude.

    "A l'imparfait de l'objectif" Robert Doisneau
    Souvenirs et portraits *

    « Les races foncéesElodie Poux - Droit à l'IVG - LRDP (27/05/19) »
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