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    L'oeil du loup

     

    Un œil jaune, tout rond, avec, bien au centre, une pupille noire. Un œil qui ne cligne jamais. C'est tout à fait comme si le garçon regardait une bougie allumée dans la nuit; il ne voit plus que cet œil : les arbres, le zoo, l'enclos, tout a disparu. Il ne reste qu'une seule chose : l'œil du loup. Et l'œil devient de plus en plus gros, de plus en plus rond, comme une lune rousse dans un ciel vide, avec, en son milieu, une pupille de plus en plus noire, et des petites taches de couleurs différentes qui apparaissent dans le jaune brun de l’iris, ici, une tâche bleue (bleue comme l’eau gelée sous le ciel) là, un éclair d’or, brillant comme une paillette.Mais le plus important, c’est la pupille, la pupille noire !
    -Tu as voulu me regarder, eh bien regarde-moi !
    …Et c’est quand tout est devenu noir, absolument noir, qu’il découvre ce que personne n’a jamais vu dans l’œil du loup : la pupille est vivante…

     Daniel Pennac *

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  • J'ai regardé à travers la vitre. L'infirmière a montré mon enfant du doigt. La figure de l'enfant était très rouge et il hurlait plus fort que tous les autres enfants. La pièce était pleine de bébés hurleurs. Toutes ces naissances! L'infirmière avait l'air très fière de mon bébé. Enfin, j'espérais que c'était bien le mien. Elle a pris la fillette pour que je puisse mieux la voir. Je souriais à travers la vitre. Je savais pas quoi faire. La même arrêtait pas de hurler dans ma direction. Pauvre morpionne, je pensais, pauvre satanée petite morpionne. A l'époque je ne me doutais pas qu'elle serait un jour une belle fille, mon portrait tout craché, hahaha. *

    J'ai regardé à travers la vitre ...

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    Je ne peux parler avec ma voix mais avec mes voix.
    Ses yeux étaient l'entrée du temple, pour moi, qui suis une errante, qui aime et qui meurs. Et j'aurais
    chanté jusqu'à me faire une avec la nuit, jusqu'à me défaire nue à l'entrée du temps.
    Un chant que je traverse comme un tunnel.
    Présences inquiétantes, gestes de figures qui apparaissent vivantes par oeuvre d'un langage actif qui les désigne, signes qui insinuent des terreurs insolubles.
    Une vibration des assises, une trépidation des fondations, drainent et perforent, et j'ai su où réside cette chose si outre qui est moi, qui attend que je me taise pour prendre possession de moi et drainer et perforer les assises, les fondations, cela qui, issu de moi, m'est hostile, qui conspire, prend possession de mon terrain vague, non, je dois faire quelque chose, non, je ne dois rien faire,
    quelque chose en moi s'abandonne à la cascade de cendres qui m'emporte en moi avec celle qui est moi, avec moi qui suis elle et qui suis moi, indiciblement distincte d'elle.
    Dans le silence même (non dans le même silence) avaler la nuit, une nuit immense immergée dans le secret des pas perdus.
    Je ne peux parler pour ne rien dire. Aussi nous perdons-nous, moi et le poème, dans l'inutile tentative de transcrire des relations ardentes.
    Où cette écriture la conduit-elle? Au noir, au stérile, au fragmenté.
    Les poupées éventrées par mes vieilles mains de poupée, la désillusion de ne trouver que pure étoupe (pure steppe ta mémoire): le père, qui dut être Tirésias, flotte sur le fleuve. Mais toi, qui t'es laissée assassiner en écoutant des contes de peupliers neigeux?
    Je voulais que mes doigts de poupée pénètrent dans les touches. Je ne voulais pas effleurer, comme une araignée, le clavier. Je voulais m'enfoncer, me clouer, me fixer, me pétrifier. Je voulais entrer dans le clavier pour entrer à l'intérieur de la musique pour avoir une patrie. Mais la musique bougeait, se précipitait.
    Ce n'est que lorsque reprenait un refrain, que montait en moi l'espoir de voir s'établir quelque chose pareil à une gare, je veux dire: un point de départ ferme et sûr; un lieu d'où partir, du lieu, vers le lieu, en union et fusion avec le lieu. Mais le refrain était trop bref, de sorte que je ne pouvais fonder une gare car je ne disposais que d'un train un peu sorti de ses rails qui se contorsionnait et se distordait. Alors j'ai abandonné la musique et ses trahisons car la musique était plus en haut ou plus en bas, mais pas au centre, au lieu de la fusion et de la rencontre. (Toi qui as été ma seule patrie où te chercher? Peut-être dans ce poème que je suis en train d'écrire.)
    Un soir au cirque, j'ai retrouvé un langage perdu au moment où les cavaliers, torches en main, galopaient en ronde féroce sur de noirs coursiers. Même dans mes rêves de bonheur n'existera un coeur d'anges qui puisse m'offrir quelque chose de semblable à ces bruits chauds à mon coeur des sabots sur le sable.
    (Et il me dit: Écris; car ces mots sont fidèles et véritables.)
    (C'est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le chant ... )
    Et c'était un frémissement doucement trépidant (je le dis pour instruire celle qui a égaré en moi sa musicalité et qui trépide plus dissonante qu'un cheval aiguillonné par une torche dans les arènes d'un pays étranger).
    J'étreignais le sol, en prononçant un nom. Je crus que j'étais morte et que Io mort était de ne cesser de prononcer un nom.
    Ce n'est peut-être pas ce que je veux dire. Cette manière de dire et de se dire n'est pas agréable. Je ne peux parler avec ma voix mois avec mes voix. Il est aussi possible que ce poème soit un piège, une mise en scène de plus.
    Quand le bateau changea de rythme et vacilla sur l'eau violente, je me dressai comme une amazone qui maîtrise de ses seuls yeux bleus le cheval qui se cabre (ou fut-ce de ses yeux bleus?). L'eau verte sur mon visage, je boirai de toi jusqu'à ce que s'ouvre la nuit. Nul ne peut me sauver cor je suis invisible même pour moi qui m'appelle avec ta voix. Mais où suis-je? Je
    suis dons un jardin.
    Il y a un jardin.


    "L'ENFER MUSICAL"  Alejandra Pizarnik *

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