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    Elle en était contrariée, avait des scrupules, ramassés Dieu sait où, envoyés lui semblait-il par la Nature (qui est d'une immuable sagesse); et pourtant, elle ne pouvait résister parfois au charme d'une femme, pas d'une jeune fille, mais, comme c'est souvent le cas, d'une femme faisant l'aveu de quelque petit embarras, de quelque sottise. Et que ce soit par pitié, ou bien à cause de leur beauté, parce qu'elle était plus âgée ou pour une circonstance fortuite - un effluve de parfum ou un violon dans la pièce à côté (si étrange est le pouvoir des sons parfois), elle ressentait alors sans aucun doute ce que ressentent les hommes. Un instant seulement; mais c'était assez. C'était une révélation soudaine, un afflux de sang comme lorsque l'on rougit et que l'on voudrait s'en empêcher, et puis, comme la chose s'amplifie, on cède, on se précipite le plus loin qu'on peut et, là, on vacille et l'on sent le monde se rapprocher, lourd d'une signification étonnante, sous la pression du ravissement qui en fait craquer la fine écorce et jaillit, se déversant dans un immense soulagement sur les crevasses et les plaies. Alors, pendant cet instant, elle avait vu un embrasement; une allumette brûlant dans un crocus; un sens caché presque exprimé. Mais ce qui était proche se retirait; la tension se relâchait. Il était passé, ce moment...

    "Mrs Dalloway" Virginia Woolf

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    Peut-être que la différence fondamentale entre société et société de masse est-elle que la société veut la culture, évalue et dévalue les choses culturelles comme marchandises sociales, en use et abuse pour ses propres fins égoïstes, mais ne les "consomme" pas (...) Elles se désintègrent jusqu'à ressembler à un tas de pierres, mais ne disparaissent pas. La société de masse, au contraire, ne veut pas la culture, mais les loisirs (entertainement), et les articles offerts par l'industrie des loisirs sont bel et bien consommés par la société comme tous les autres objets de consommation (...) la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n'est pas une désintégration, mais une pourriture (...)

      Hannah Arendt *

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  • Quelle soirée ! ô dieu ! que j'ai souffert !
    Dans un trouble charmant je suivais l'Espérance ;
    Elle enchantait pour moi les apprêts du concert,
     Et je devais y pleurer ton absence.

    Dans la foule cent fois j'ai cru t'apercevoir ;
    Mes vœux toujours trahis n'embrassaient que ton ombre ;
    L'amour me la laissait tout à coup entrevoir,
    Pour l'entraîner bientôt vers le coin le plus sombre.
    Séduite par mon cœur toujours plus agité,
    Je voyais dans le vague errer ta douce image,
    Comme un astre chéri, qu'enveloppe un nuage,
    Par des rayons douteux perce l'obscurité.

    Pour la première fois insensible à les charmes,
    Art d'Orphée, art du cœur, j'ai méconnu ta loi :
    J'étais toute à l'Amour, lui seul régnait sur moi,
     Et le cruel faisait couler mes larmes !
     D'un chant divin goûte-t-on la douceur
    Lorsqu'on attend la voix de celui que l'on aime ?
     Je craignais ton charme suprême,
     II nourrissait trop ma langueur.
     Les sons d'une harpe plaintive
    En frappant sur mon sein le faisaient tressaillir ;
     Ils fatiguaient mon oreille attentive,
     Et je me sentais défaillir.

    Et toi ! que faisais-tu, mon idole chérie,
     Quand ton absence éternisait le jour ?
     Quand je donnais tout mon être à l'amour,
     M'as-tu donné ta rêverie ?
     As-tu gémi de la longueur du temps ?
     D'un soir... d'un siècle écoulé pour attendre ?
    Non ! son poids douloureux accable le plus tendre ;
    Seule, j'en ai compté les heures, les instants :
    J'ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée ;
     Et toi, tu ne m'as point cherchée !

    Mais quoi ! L'impatience a soulevé mon sein,
    Et, lasse de rougir de ma tendre infortune,
     Je me dérobe à ce bruyant essaim
    Des papillons du soir, dont l'hommage importune.
    L'heure, aujourd'hui si lente à s'écouler pour moi,
    Ne marche pas encore avec plus de vitesse ;
    Mais je suis seule au moins, seule avec ma tristesse,
    Et je trace, en rêvant, cette lettre pour toi,
    Pour toi, que j'espérais, que j'accuse, que j'aime !
    Pour toi, mon seul désir, mon tourment, mon bonheur !
     Mais je ne veux la livrer qu'à toi-même,
     Et tu la liras sur mon cœur.

    Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) *
    Recueil : Élégies (1830)

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