• Depuis plusieurs mois qu’il est là, Fulbert n’a presque pas bougé. Jeté dans la prison de l’île de la Cité – monde enclos défendu par de puissantes murailles –, celui dont le nom «Héloïse» envahit les pensées – vengeur invétéré victime de l’orage qu’il a lui-même allumé –, machine aveugle et sourde, s’en trouve désorienté. Quelle angoisse le crucifie de jour comme de nuit. Ô,le ratage de sa vie !
    Il est déposé là comme un talus dans sa décomposition morale. Assis à même la terre battue près d’une paillasse et adossé contre le mur suintant de la geôle, bras entourant des jambes repliées sur le ventre, ce lourdaud a le menton flasque entre ses genoux au-dessus desquels seul le sommet du crâne chauve, entouré par la tonsure, brille.
    Sa soutane, couleur terre de Sienne à gros plis de laine, masque une silhouette s’écroulant.
    Ah, elle est loin, l’ample aisance du chanoine en dentelle lorsqu’il se redressait pour officier à l’église. Il ne peut plus créer d’ennuis à d’autres dans sa retraite contrainte et solitaire. Il y fait bouillir et mange son coeur près d’un livre de psaumes abandonné dans la gadoue. Au rythme haletant de sa respiration, la croix pectorale monte et descend le long de sa poitrine comme une bêche. Chapelet de buis entre les doigts, il égrène aussi des macérations. À côté également d’une écuellée de pois, cet homme prend la forme d’un terril d’où s’échappent sans pudeur des gaz géologiques (grisou) – pets –, vents de chemise. Nez mangé de mites, il est enchifrené de morve dans une méditation intérieure dont rien ne pourrait le sortir. Maintenant, terre en friche où poussent des champignons, il a des senteurs de plantes aquatiques. Humilié jusqu’au plus profond de son amour pour sa filleule, il patauge dans des eaux ténébreuses où sa science fait des bulles. À sa gueule de lamproie à la boue – sauce épaisse –, il porte l’écuelle à ses lèvres pour en boire le bouillon. Il s’ensauvage jusqu’à devenir méconnaissable. Comme la cire sous la flamme, il s’avachit encore, fond. Dans sa déception, il se désintéresse de son sort, de son corps qui descend vers les entrailles de l’enfer. Massif, ventre ballant, il n’est bientôt plus qu’un esprit dont le comportement et l’apparence s’écartent de la normalité. Pensées secrètes, intimes débâcles, rien n’arrête sa dissolution en la solitude. D’un soupir, il cultive sa terre qui se mêle à celle de la prison. Navrant avec un air de saleté, incapable d’un bout de lecture choisie, d’un regard attentif, d’une oreille en arrêt, et tout ce dégoût qu’il lui faut taire, il promène sur le cachot des yeux appesantis par le morne regret des chimères disparues et s’en affaisse d’autant plus. Entre les mailles du canevas de son piteux destin, son âme est un tombeau. Métamorphose ! Il s’endort, enseveli par l’oubli et infiltre le sol. Au-dessus de lui disparaissant, ne traîne plus qu’un long mugissement que remuent des abîmes et les humides brouillards qui nageaient dans ses yeux de poule malade. Cet humus humain – fumier ! – a été avalé par la terre de la cellule dorénavant vide. Tout son passé, disons son remords, ricane entre les barreaux du soupirail.

    Jean Teulé "Héloïse, ouille" *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Le Mépris est un film franco-italien réalisé par Jean-Luc Godard, sorti en 1963.

    Avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Fritz Lang, Jack Palance, Giorgia Moll, Raoul Coutard, Linda Veras, Jean-Luc Godard

     

    Le scénariste parisien Paul Javal et son épouse Camille rejoignent le réalisateur Fritz Lang en tournage pour le compte du producteur de cinéma américain Jeremy Prokosch, sur le plateau du film Ulysse (une adaptation de l’Odyssée) en chantier à la villa Malaparte à Capri en Italie.

    Il est proposé à Paul Javal de reprendre et de terminer le scénario du film. Camille n'est pas très heureuse de ce long voyage de travail impromptu, loin de chez elle, parmi des inconnus. Durant le séjour, Paul Javal laisse le riche et séduisant producteur seul avec Camille, alors qu'elle, intimidée, insiste pour demeurer auprès de Paul. À tort, Camille s'imagine que son mari la pousse dans le lit du producteur pour obtenir le travail de réécriture du scénario. De là naissent des malentendus, le mépris, et leur couple vole en éclats.

     
    Partager via Gmail

    2 commentaires
  • Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Partager via Gmail

    votre commentaire
  • Fantôme :
    Attention

    L'homme, sous la pression d'un sentiment arrivé au point d'être une monomanie à cause de son intensité, se trouve souvent dans la situation où le plongent l'opium, le haschisch et le protoxyde d'azote. Alors apparaissent les spectres, les fantômes, alors les rêves prennent du corps, les choses détruites revivent dans leurs conditions premières, ce qui dans le cerveau n'était qu'une idée devient une créature animée ou une création vivante

    Le Mal Absolu

    Partager via Gmail

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires